Préambule: Fédéralisme ou Europe des nations, la question jamais tranchée
(écrit le 26 12 2010)
L'Europe est trop faible, elle ne joue pas son rôle, et pourtant on ne cesse de décrier sa trop grande immission dans de multiples domaines, à tel point que les états apparaissent de plus en plus impuissants. A l'évidence l'Europe n'est pas assez démocratique et pourtant elle protège la paix et la démocratie en Europe. L'Europe est marginalisée sur la scène internationale, mais nous savons que notre avenir passe par Elle. L'Euro a provoqué une évidente hausse des prix pour les produits les plus courants, mais qu'auraient été les conséquences de la crise financère sans l'euro? De nombreux pays se sont battus pour rejoindre l'Europe, mais leur intégration n'est pas complètement réussie, ...
L'Europe est une somme de paradoxes, elle a d'ailleurs été construite sur une contradiction jamais tranchée. Les pères de l'Europe la voulait fédérale. Mais ses quelques grands succès, comme dans l'aéronotique, sont ceux de l'Europe des Nations. Cette contradiction, on la retrouve inscrite dans ses institutions. J'ai essayé ici de les décrypter pour tenter de donner une réponse à cette question qui me semble centrale: Peut-on concilier une Europe forte avec les nations?
L'Europe est une idée géniale qui a été faite sur une base malsaine qu'est le mépris des peuples par une "élite" technocratique qui se croit "éclairée". Etre de convictions MoDem c'est être un partisan résolu de l'Europe. Mais ça devrait aussi être un critique féroce des fossoyeurs du rêve européen que sont les technocrates qui la gouvernent.
Pour le meilleur ou pour le pire, la crise actuelle force l'Europe à sortir de ses contradictions pour jouer enfin son rôle au service des européens. La crise rend l'Europe fédérale de plus en plus incontournable, et rend "la trahison des élites fédéralistes" de plus en plus insupportable. Elle va forcément accoucher soit d'une Nouvelle Europe, soit de la destruction des institutions européennes. Ce site veut modestement aider l'Europe en participant de façon constructive au débat sur son avenir.
1) Le fonctionnement actuel de l'Europe
Sans vouloir faire un cours sur l'Europe, il est important de comprendre son fonctionnement actuel pour pouvoir faire des propositions pour l'améliorer ensuite. La description qui en est faîte ici se limite aux points essentiels, en recherche la trame, fait volontairement l'impasse sur les détails et les innombrables exceptions. Si je peux rendre claire cette organisation (volontairement?) compliquée, c'est que j'aurai réussi un exploit. N'hésitez pas à me signaler les oublis importants ou les erreurs éventuelles dans le Forum. Les informations données ici sont issues du livre d'Olivier Duhamel "La Constitution Européenne" aux éditions Armand Colin.
I) Les institutions européennes
a) le Parlement européen
- exerce conjointement avec le Conseil des ministres les fonctions législatives et budgétaires
- élit le Président de la Commission (proposé par le Conseil européen), et approuve sa composition
- peut adopter une motion de censure de la Commission
- est composé de 750 députés européens maximum élus pour 5 ans
b) le Conseil des ministres (dit Conseil)
- exerce conjointement avec le Parlement européen les fonctions législatives et budgétaires
- comprend 1 représentant de chaque état de niveau ministériel
- statue à la majorité qualifiée (55% des membres dont 15 minimum, représentant 65% de la population)
c) le Conseil européen
- définit les orientations et les priorités politiques générales, et donne les implulsions au développement de l'Union européenne
- est composé des chefs d'états, de son Président, et du Président de la Commission
- se réunit chaque trimestre et se prononce par consensus
- élit son Président tous les 2 ans et demi
- propose au Parlement européen un candidat comme Président de la Commission
d) la Commission européenne
- gère les programmes et exécute le budget, et veille conjointement à la Cour de Justice de l'UE à l'application de la Constitution et du droit européen
- propose les actes législatifs au Parlement et au Conseil des ministres (car un acte législatif ne peut être adopté que sur proposition de la Commission, le Parlement et le Conseil des ministres ne peuvent pas les proposer mais uniquement les adopter)
- ses membres sont choisis pour un mandat de 5 ans, sa composition est approuvée par le Parlement européen, la première Commission était composée d'1 représentant de chaque état
e) la Cour de Justice de l'Union Européenne
- veille conjointement à la Commission à l'application de la Constitution et du droit européen
- est composée de la Cour de Justice, du Tribunal, et des tribunaux spécialisés
f) la Banque Centrale Européenne
- est indépendante
- a pour objectif principal le maintient de la stabilité des prix
- est seule autorisée à émettre l'euro
g) la Cour des Comptes
- contôle les comptes de l'UE
II) Les actes législatifs
- la loi européenne qui est directement applicable dans tous les états membres
- la loi-cadre européenne qui lie chaque état par le résultat à atteindre mais le laisse libre sur la forme et les moyens pour y parvenir
- le réglement européen qui sert dans la mise en oeuvre des lois et lois-cadres. Il existe donc dans les 2 formes (qui est directement applicable dans tout état membre, et, qui lie chaque état par le résultat à atteindre mais le laisse libre sur la forme et les moyens pour y parvenir).
III) Les domaines de compétence
La Constitution attribue à l'Union Européenne des domaines de compétences sous différents statuts. Toute compétence non attribuée à l'Union appartient aux états membres.
- les compétences exclusives où seule l'Union Européenne peut légiférer
- les compétences partagées où l'Union et les états membres peuvent légiférer, mais ces derniers ne le peuvent que si l'Union européenne n'a pas légiférée dans le domaine concerné, ce qui fait que l'on peut dire "l'Union sinon les états membres"
- les domaines d'action d'appui, de coordination ou de complémént où l'Union européenne complète et soutient l'action des états membres
a) les compétences exclusives
l'union douanière, l'établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur, la politique monétaire du marché intérieur, la politique monétaire pour les états membres dont la monaie est l'euro, la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche, la politique commerciale commune.
pour la conclusion d'un accord international lorsque cette conclusion est prévue dans un acte législatif de l'Union, ou est nécessaire pour lui permettre d'exercer sa compétence interne, ou dans la mesure où elle est susceptible d'affecter les règles communes ou d'en altérer la portée.
b) les compétences partagées
le marché intérieur, la politique sociale pour les aspects définis dans la partie III, la cohésion économique, sociale et territoriale, l'agriculture et la pêche, à l'exclusion de la conservation des ressources biologiques de la mer, l'environnement, la protection des consommateurs, les transports, les réseaux transeuropéens, l'énergie, l'espace de liberté, de sécurité et de justice, les enjeux communs d sécurité en matière de santé publique, pour les aspects définis dans la partie III.
Dans les domaines de la recherche, du développement technologique, et de l'espace, l'Union dispose d'une compétence pour mener des actions, notamment pour définir et mettre en oeuvre des programmes, sans que l'exercice de cette compétence ne puisse avoir pour effet d'empêcher les Etats membres d'exercer la leur.
Dans les domaines de la coopération au développement et de l'aide humanitaire, l'Union dispose d'une compétence pour mener des actions et une politique commune, sans que l'exercice de cette compétence ne puisse avoir pour effet d'empêcher les Etats membres d'exercer la leur.
c) les domaines d'actions d'appui, de coordination ou de complément
la protection et l'amélioration de la santé humaine, l'industrie, la culture, le tourisme, l'éducation, la jeunesse, le sport et la formation professionnelle, la protection civile, la coopération administrative.
IV) Les principes fondamentaux
L'action de l'Union obéit à 2 principes:
Le principe de proportionnalité qui entraîne que toute compétence non attribuée à l'Union appartient aux Etats membres.
Le principe de subsidiarité qui entraîne que, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union n'intervient que si les objectifs de l'action envisagées peuvent mieux être atteints au niveau européen qu'au niveau local ou au niveau des Etats.
définition du principe de subsidiarité dans wikipédia:
Le principe de subsidiarité est une maxime politique et sociale selon laquelle la responsabilité d'une action publique, lorsqu'elle est nécessaire, doit être allouée à la plus petite entité capable de résoudre le problème par elle-même. Il va de pair avec le principe de suppléance, qui veut que quand les problèmes excèdent les capacités d'une petite entité, l'échelon supérieur a alors le devoir de la soutenir, dans les limites du principe de subsidiarité.
C'est donc le souci de veiller à ne pas faire à un niveau plus élevé ce qui peut l'être avec plus d'efficacité à un niveau plus faible, c'est-à-dire la recherche du niveau pertinent d'action publique.
La signification du mot latin d'origine (subsidiarii : troupe de réserve, subsidium : réserve / recours / appuis) reflète bien ce double mouvement, à la fois de non-intervention (subsidiarité) et de capacité d'intervention (suppléance).
2) Proposition de réforme
Je me lance ici dans un exercice difficile mais qui est incontournable avec les convictions que je défends, et pour lequel le MoDem ne pourra pas se dérober. Avec justesse, le MoDem est considéré comme le plus pro-européen des partis de France. Dans cette période de crise où l'Europe est en plein désarroi, ces propositions sur le sujet sont donc très attendues.
I) Ma proposition de réforme globale est fondée sur 5 axes principaux:
1 Fusionner le Conseil des ministres et le Conseil européen dans un Conseil européen assurant la partie "Présidence" des institutions européennes. Son rôle serait de fixer les grandes orientations (comme est déjà censé le faire actuellement le Conseil européen), et d'exercer un pouvoir de veto à 3 niveaux sur les décisions de la Commission et du Parlement: un veto global à la majorité qualifiée, un veto partiel (permettant à un état d'être exonéré d'une décision avec l'accord des autres), et un veto exceptionnel (permettant à un chef d'état de bloquer l'application d'une décision dans son pays). Les chefs de l'état, élus démocratiquement dans leurs pays respectifs, seraient les garants rassurants de la défense des intérêts fondamentaux de leurs peuples.
2 Redonner la plénitude des pouvoirs législatifs au parlement européen en supprimant le monopole de la Commission sur le droit de proposition de lois. Le Parlement pourrait ainsi proposer et voter la loi, et non plus uniquement la voter. Il pourrait ainsi jouer pleinement son rôle. Et avec la suppression du Conseil des ministres, le pouvoir législatif ne serait plus partagé avec ce dernier mais détenu exclusivement par le Parlement. La situation serait ainsi largement clarifiée et simplifiée.
3 Faire de la Commission le véritable gouvernement de l'Europe fédérale en lui donnant sa pleine autonomie face au Conseil européen, et en la rendant dépendante du Parlement. Actuellement, elle est un pouvoir technocratique qui étouffe le pouvoir législatif, et qui joue un rôle trouble avec les états.
4 Mettre fin à l'indépendance de la BCE dont le Président et la politique générale seraient choisis une fois tous les 5 ans par le parlement, et dont son président serait membre à part entière de la Commission. Le pouvoir de battre monnaie est un pouvoir essentiel. Les états démocratiques ont renoncé à ce pouvoir pour le confier à une Europe qui le gère de manière non démocratique. Il faut mettre fin à cette hérésie tout en préservant une certaine stabilité dans la gestion de la BCE.
5 Changer la mentalité avec laquelle est gouvernée l'Union européenne en promouvant à tous les niveaux le fédéralisme patriotique européen. Actuellement les institutions européennes ne défendent pas les intérêts des européens ni ne préparent l'avenir de l'Europe, mais elles veillent à l'application stricte dans la zone euro des dogmes de la libre circulation des biens et des capitaux, et de la concurrence libre et non faussée. Et la BCE n'a pour seul objectif que d'empêcher l'inflation par une politique de l'euro fort. Il n' y a pas à faire une Europe contre la Chine ou contre les USA, mais une Europe pour l'Europe. Défendre les intérêts européens ne signifient pas être hostiles aux chinois et aux américains, mais militer pour des échanges internationaux plus équitables.
6 Créer un impôt fédéral europén, une TVA sociale européenne, modulée en fonction des intérêts à long termes de l'Europe et des négociations avec nos partenaires chinois, américains, et du reste du monde. L'Europe fédérale est une citoyenneté et le paiement de l'impôt est la matérialisation de cette citoyenneté. Deplus l'Europe fédérale a besoin de ressources (qu'elle pourrait compéter par une taxe sur les transactions financières). Enfin, l'intérêt des fonctionnaires européens ne seraient plus de déposséder les états de leurs pouvoirs, mais d'accroître leur budget par un meilleur contrôle du commerce international et des transactions financières.
C'est donc à cette réforme radicale des institutions et de la mentalité avec laquelle est gouvernée l'Europe à laquelle j'appelle pour "sauver l'Europe". Réussir à marier, grâce à la démocratisation des institutions européennes, à la clarification des pouvoirs en leur sein, et à un nouvel état d'esprit "le patriotisme fédéral européen", une Europe fédérale qui soit à la fois fonctionnelle et au service des européens, dans le respect des particularismes et intérêts vitaux auxquels les peuples sont attachés, voilà le sens des propositions que je fais ici.
les propositions de François Bayrou |
tiré de "La Tribune du 30/11/2011"
"Le premier critère en démocratie, c'est qu'on sache qui fait quoi. ... Il faudrait un vrai président pour l'Europe, élu au suffrage universel ou, dans un premier temps, élu par un congrès représentant à parité les parlements nationaux et européens, qui donnera à l'Europe un visage et une vision de l'avenir, et auprès de qui les citoyens puissent se faire entendre." |
Pour illustrer mes propositions sur un cas concret, je vous propose une réflexion sur ce que devrait faire l'Europe dans la crise grecque.
3) Les solutions à la crise grecque
On ne peut pas abandonner la Grèce. Quelques soient les tords des grecques dans la gestion de leurs finances, abandonner la Grèce serait prendre le risque inconsidéré d'un effet domino incontrôlable. Mais on ne peut pas indéfiniment la soutenir à bout de bras en lui prêtant de nouveau alors que l'on sait très bien que sans changement radical de sa situation, elle sera incapable de rembourser.
Pour trouver la solution, il faut faire le bon diagnostique. La Grèce est prise dans un triple étau:
- Elle a un problème évident de gestion des finances publiques. Son secteur public est trop coûteux, et à cause de certaines mauvaises habitudes culturelles, l'état n'arrive pas à percevoir correctement l'impôt. Les dépenses sont donc structurellement trop fortes et les recettes désespérément trop faibles. On comprend la rétisance des allemands qui ont fait des efforts pendant des années pour assainir leurs comptes publics à dilapider le fruit de leurs efforts pour soutenir le mauvais élève grecque.
- L'euro fort est mortel pour l'économie grecque. Ce n'est pas l'euro en soi qui est un problème. Au contraire, il a permis à la Grèce d'emprunter longtemps avec des intérêts faibles. C'est le fait qu'il soit beaucoup trop fort qui a tué toutes formes de productions en Grèce. Tant que la Grèce aura l'euro fort comme monnaie, elle ne pourra pas s'en sortir car aucune industrie ne pourra renaître, et même le tourisme en sera affecté.
- La cure d'austérité, imposée par le FMI et l'UE pour réduire le déficit, entraîne une baisse de la croissance, et donc une augmentation du chômage. Cela entraîne naturellement une hausse des dépenses sociales et une baisse des recettes de l'état. Au final le déficit se creuse encore plus.
La solution réside donc dans un triptique:
- Il faut mutualiser une partie de la dette grecque, en restructurer une autre (bien calibrée de façon à faire payer ni trop ni trop peu aux banques privées), et prêter à la Grèce directement par la BCE à taux quasi nuls, sous conditions que la Grèce restructure en profondeur son secteur public pour le rendre moins coûteux, ainsi qu'elle change ses habitudes de perception de l'impôt.
- Il faut sortir la Grèce de l'euro mais pas de la zone euro. Il faut constituer un Euroland autour de l'Allemagne, de la France et du Bénélux, et pour les autres états, après mutualisation et restructuration de leur dette, revenir à une monnaie nationale dévaluée volontairement et associée à l'euro par un taux de change fixe. Cette idée de Claude Allègre a l'avantage de n'être ni une sortie catastrophique de la zone euro, ni un statu-quo mortel. Naturellement cette solution n'est valable, notamment pour la France, qu'avec une politique de l'euro faible. Il faut faire le choix résolu de faire baisser l'euro. Cela devrait être un chapitre important des négociations avec les américains et les chinois.
- Il faut réussir durablement la politique que certains appellent "de maintient sur une ligne de crête". C'est-à-dire qu'il faut réduire les dépenses publiques sans faire de politique d'austérité qui réduit les recettes (et augmente également au final les dépenses sociales). Il faut donc adopter toutes les solutions que prône "l'alternative crédible": réorganisation totale du secteur public par une RGPP qualitative, élargissement de l'assiette fiscale, libéralisme authentique, justice sociale, remise au service de l'économie réelle du système financier, assainissement de la démocratie et défenses des libertés publiques, investissement dans les infrastructures (dont l'éducation)...
Philippe Dervaux